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Interaction des langages tonal-modal

Interaction des langages tonal et modal

Article rédigé par Dhia Eddine Ben Youssef

Abstract :

            La modalité est incluse, d’une façon ou d’une autre, dans la tonalité. Par conséquence, la fusion de ces deux langages musicaux dans une seule œuvre peut être considérée comme un essai de montrer l’interaction entre eux tout en gardant à chaque langage ses propres spécificités. En outre, pour matérialiser cette idée, on a choisi la forme du concerto grosso, comme la représentation  concrétisée où on pourrait mettre en évidence un mode arabe, ou maqam, harmonisé à la façon d’accompagner une mélodie tonale. Non seulement la construction formelle nous sert d’outil, mais encore le choix de l’instrumentation qui se considère comme l’une des éléments cruciaux de notre processus compositionnel, puisqu’il s’agit d’opposer trois instruments d’origine orientale comme soliste, au reste de la formation qui est composée de l’orchestre à cordes habituel. L’utilisation des accords de l’harmonie tonale est plutôt limité, et ceci pour ne pas alourdir la structure modale, et afin de prévaloir la richesse mélodique. En ce qui concerne la méthode de recherche, on a divisé notre démarche en trois parties principales : approche comparative du langage modal et du langage tonal ; approche historique et technique du concerto grosso ; présentation et analyse de l’œuvre composée. Il faut dire par la suite que notre travail de composition ne peut pas être considéré comme un exemplaire ou un échantillon insurpassable. En effet, notre œuvre composée n’est qu’une démonstration modeste de l’aptitude du mode (que ce soit arabe ou orientale en général) à se fusionner aisément avec une forme originellement tonale. D’autre part, elle montre aussi l’éventuelle ouverture formelle sur un autre langage musical tel que le mode, ou le maqam, plus particulièrement.

Introduction :

En parlant d’interaction entre un langage modal et un langage tonal, la question suivante se pose : dans quelle circonstance, ou pour quelle raison a-t-on favorisé cette forme de métissage entre deux éléments complètement différents, quoiqu’ils s’accordent tout évidemment en plusieurs points (la modalité est contenue dans la tonalité)?

Pour répondre à cette question, apparemment si facile, il faut préciser tout d’abord les concepts suivants : mode, tonalité, et interaction. Pour le premier concept, il s’agit d’une manière particulière d’élaborer une gamme, où les notes sont ordonnées de façon à ce qu’elles forment une disposition d’intervalles qui la diffère d’une autre gamme. Ce qui veut dire que cela transmet l’idée d’une certaine « ordonnance des sons de la gamme »[1]. D’autre part, en lui donnant un privilège inégalable, P. Maillart rapproche le mode à « l’âme, ou la partie formelle de la musique »[2]. Pour conclure cet amalgame de définitions, on  cite la tournure d’A. Gastoué, désignant le mode par « le caractère d’une phrase mélodique, constituée par la relation des tons et des demi-tons et l’emploi de certaines formules »[3].

En ce qui concerne le deuxième concept, le ton ou plus généralement la tonalité est, selon A.-L. Danhauser,  « un ensemble des lois qui régissent la constitution des gammes »[4]. Un peu plus loin, il confirme la synonymie de la gamme et du ton, tout en soulignant que ce dernier représente les sons conjointement ou d’une manière disjointe, tandis que la gamme n’admet que des sons successives. Aussitôt, les sons constitutifs de cette échelle possèdent une nomenclature bien définie. Plus clairement, la gamme est perçue tous les temps où la hauteur relative des sons est changée. Cette conception semblerait être bien récente, lorsqu’au moyen-âge, le ton, tout comme le mode ou le trope, désigne « la série des gammes authentes et plagales, classées d’après la division de leur octave en quinte et en quarte »[5]. Toutes les précisions de cet amalgame de conceptions peuvent être dépassée dans notre présente recherche, pour la seule raison que l’objectif n’est pas du tout d’entamer une recherche détaillée du système modal médiéval, ni de définir des termes qui ne peuvent être des outils nécessaires pour notre recherche.

Après avoir définir les concepts de mode et de tonalité, il est possible maintenant de justifier l’opération mutuelle que nous allons mettre en relief, laquelle régit entre ces deux langages, à savoir l’interaction. Comme son nom l’indique, il s’agit d’une « réaction réciproque de deux phénomènes l'un sur l'autre.»[6]. C’est exactement le cas de notre disposition dans cette recherche. On a vu que la modalité peut être mise en rapport avec la tonalité dans une représentation d’une œuvre musicale. Cela ne veut pas dire que ces deux langages sont tout à fait différents l’un de l’autre comme l’eau et le feu. De même, l’essai de les mélanger dans une seule œuvre n’est pas du tout novateur ou tout au contraire absurde. On sait bien que ces deux langages sont inclus l’un dans l’autre. Il suffit de les mettre en réaction mutuelle, engendrant ainsi une sorte d’alternativité[7].

Pour montrer bel et bien cette interaction entre ces deux langages musicaux, il nous faut automatiquement penser à la matérialiser ; et ceci à partir d’une forme, dans laquelle notre idée pourrait se déployer. En effet, la forme choisie est le concerto grosso. Elle est apparue à l’âge baroque, plus précisément au XVIIème siècle. Son principe consiste à opposer un ensemble de solistes, généralement deux violons et un violoncelle, au reste de l’orchestre qui se constitue habituellement d’instruments à cordes. La justification de notre choix sera donnée plus tard. On déduit que le langage musicale utilisé pour cette forme, à été naturellement épuisé dans le système tonal ; puisqu’elle a été évoluée dans l’ère où la tonalité régnait totalement (de la Renaissance à l’aube du XXème siècle), ce qui rejette toute autre idée de modalité, presque oubliée en Europe depuis le Moyen-Âge. Toutes les caractéristiques de cette forme représentent les principales raisons selon lesquelles nous l’avons choisi pour l’utiliser dans un projet de composition qui serait une démonstration directe de notre présente recherche.

Après avoir montré notre problématique, le but de notre travail est d’essayer de fusionner les deux langages musicaux, précédemment mentionnés, dans une seule œuvre musicale ; et ceci afin de faire réagir l’interaction entre eux, sous forme d’un projet de composition. D’ailleurs, la démonstration de l’adaptabilité du mode dans les différentes déclinaisons tonales (harmonie, contrepoint, modulation) est l’une de nos préoccupations.

Dans notre recherche, on a essayé de répondre à ces questions suivantes :

  • Comment peut-on confirmer la fusion d’un mode oriental dans une forme de composition purement occidentale ?
  • Comment le langage tonal peut-il se traduire en fonction du langage modal ?
  • Quels sont les aspects d’originalité et de renouvellement dans notre œuvre composée, d’après l’analyse détaillée entamée au cours de cette recherche ?

 

Méthodes :

            Tout d’abord, notre composition musicale se présente sous forme d’un concerto grosso dont l’instrumentation est la suivante : les trois solistes sont deux ouds et un qanun. Le reste de la formation d’accompagnement qui représente leripieno sont l’habituel quatuor d’orchestre, à savoir les premiers et seconds violons, les altos et les violoncelles. Les deux ouds sont généralement traités ensemble dans le cadre d’un dialogue instrumental homogène, le qanun assure le soutien polyphonique ; tandis que les parties de l’accompagnement accomplissent l’harmonisation.

Concerto pour 2 oud kanun et orchestre extrait 1

            Cette forme (le concerto grosso) se caractérise principalement par le « trait concertant » qu’elle offre à partir d’un groupe de solistes formant le concertino. D’une part, cette option permet la mise en valeur de l’ensemble des solistes (les deux ouds et le qanun) ; d’autre part, une construction thématique adaptable à la modalité est également possible. En effet, on a privilégié le concerto grosso comme forme principale, et ceci pour différentes raisons : la première raison est que la masse concertante y trouve une opposition avec la partie accompagnatrice, autrement appelée « ripieno ». Cette caractéristique est très utile pour notre cas, surtout pour mettre en valeur le groupe des instruments arabes (les deux ouds et le qanun), et ceci face au quatuor à cordes habituel de la musique classique savante. La deuxième raison justifiant notre choix est que le concerto grosso est apparu à l’âge baroque, donc à l’apogée de l’art contrapuntique ; c’est une forme qui adapte les mouvements horizontaux et place désormais l’harmonie en deuxième lieu, puisqu’on en trouve plusieurs techniques d’écriture contrapuntique telles que la fugue[8]. Nous savons que la musique modale ne peut être chargée en harmonie aussi bien que le cas de la musique tonale[9]. Et, puisqu’on a utilisé un maqam, il ne faut pas y épuiser toutes les ressources harmoniques, car cette modalité ne peut pas comprendre toutes les flexions que la disposition des accords exige.

En ce qui concerne notre choix de la modalité, on a choisi d’écrire notre œuvre musicale dans le maqam shahnaz, vu que ce maqam, et d’ailleurs beaucoup d’autres, se voit être très rares dans la musique arabe du XXIème siècle. Notre geste n’est qu’un essai modeste de conserver et de cultiver davantage des éléments qui tombent de plus en plus dans la désuétude, surtout de nos jours. D’un point de vue technique, on peut dire que le shahnaz, s’adapte particulièrement au langage tonal, et ceci par la structure même de son échelle ; la première raison est qu’il ne contient pas de trois quarts de tons, sauf au cas d’une éventuelle modulation ; la deuxième est que certains de ses intervalles peuvent être accompagnés facilement d’accords, comme la tierce majeure en partant de la tonique , ce qui nous donne un accord parfait majeur sur .

Bien que le concerto grosso obéit, depuis sa toute première apparition, à des structures bien établies (la forme sonate monothématique représente généralement le premier mouvement, tandis que le troisième s’incorpore dans un rondo) ; on a choisi à y inclure d’autres structures aussi bien connues et cultivées que les précédentes, et qui s’adaptent davantage au système modal.

En effet, la structure du premier mouvement est aba’, qui est considérée, d’une façon ou d’une autre, comme la structure-type, utilisée presque dans toutes les périodes de l’histoire de la musique, voire dans tous les genres musicaux.

Le deuxième mouvement est de structure aa’, laquelle est, peut-être, la plus simple structure organisée ; il s’agit bien d’un unique thème qui se réexpose avec quelques variations, qui donnent le privilège à l’exposition thématique proprement dite, tout en plaçant le développement au deuxième rond.

Le troisième mouvement, de structure ab, semble le plus riche entre les deux précédents ; et ceci à partir de l’adaptabilité à une large palette de gestion thématique, qu’offre la nature même de cette structure. D’après l’analyse formelle détaillée qu’on a entamée, la partie comporte l’exposition d’un thème avec sa réexposition et ses variations, tandis que la partie contient l’exposition consécutive de trois nouveaux thèmes,  ce qui montre bien la riche exploitation thématique de cette structure.

Notre présente œuvre composée est le résultat d’une démarche compositionnelle bien définie, qui reflète automatiquement la logique conventionnelle adaptée dans la composition musicale. La première étape qui engendre la flamme initiale de l’opération créative proprement dite est  bien entendue l’idée première, ou la mélodie primaire, laquelle subirait des modifications, des suppressions, des variations, voire des changements radicaux. Ensuite, vient le choix de l’instrumentation, qui est un élément essentiel, car l’incorporation de la mélodie exige irrévocablement l’intervention des instruments afin de la matérialiser. La distribution des instruments est la troisième étape, où on travaille à manipuler les rôles que chaque partie pourrait jouer. Jusque-là, la manière dont on a traité cette musique montre bel et bien que celle-ci tient des ressources de la monodie ; en effet, nous avons utilisé cette procédure pour valoriser la musique arabe en tant que musique monodique, nous avons voulu que l’origine de la mélodie même soit monodique, sans la moindre intervention de la polyphonie. Toutefois, puisqu’il s’agit de fusionner le système modal avec un langage et une forme tonals, on a procédé, dans une dernière étape, à harmoniser la mélodie, et ceci pour lui donner un aspect polyphonique.

En ce qui concerne la méthode de la recherche, notre étude fait appel à trois types de références bibliographiques :

  • Des ouvrages généralistes traitant des différentes conceptions des termes musicaux, dont la forme concerto ; d’où nous sommes informés sur sa structure et son évolution.
  • Des ouvrages traitant du mode, de la musique arabe, de la musique des différents peuples ; tout cela nous a été très utile à construire la partie qui s’intéresse à l’étude de mode en général, et au maqam en particulier.
  • Des traités d’analyse musicale à partir desquels nous avons tirés une démarche méthodologique propre à nous, en ce qui concerne l’analyse détaillée de notre œuvre composée.

            D’autre part, la méthode de l’analyse consiste essentiellement à présenter, dans un premier lieu, l’œuvre composée tout en tenant compte du choix d l’instrumentation, celui de la forme, et celui de la modalité. Ensuite, l’analyse duconcerto pour trois instruments arabes et orchestre à cordes pourrait tenir place. Dans cette section, une analyse mélodique et rythmique est immédiatement faite après l’étude formelle et thématique de l’œuvre ; ensuite, l’analyse harmonique vient traduire notre pensée, qui se présente dans la disposition des accords et leurs enchainements. Enfin, on élabore une analyse sommaire de l’instrumentation et de l’orchestration.

 

Résultats :

            Après avoir composé l’œuvre, selon les principes sur lesquels est basé notre choix compositionnel, et traité le sujet d’un point de vue musicologique (on veut dire par là tout le travail de recherche que nous avons accompli), on est arrivé aux résultats suivants :

            Dès la première écoute du morceau, l’aspect de l’alliance et de la fusion est déjà présent. La tonalité ainsi que le mode choisi se complètent et se joignent très fréquemment. L’opposition de la masse concertante (composée essentiellement de 2 ouds et un qanun) au reste de l’orchestre fait apparaitre le caractère généralement mélodique, voire homophonique de la première, réuni à l’omniprésence harmonique et polyphonique du deuxième. Cela ne veut pas dire que les parties solistes sont dépourvues de quelques passages harmoniques. D’ailleurs, la division de la mélodie principale entre les trois solistes est faite avec délicatesse pour maintenir le déroulement polyphonique fluide et, en même temps, renforcer la monodie, l’une des caractéristiques de la musique arabe.

  D’après l’analyse mélodique, rythmique, et harmonique qu’on a entamée, l’équilibre entre la modalité et la tonalité a été mis en relief, beaucoup plus que l’opposition entre ces deux éléments ; car l’objectif de notre recherche est de mettre en évidence l’interaction et non pas le contraste. De cette action découle directement la confirmation de la constatation qui affirme l’adaptabilité du mode aux inflexions tonales, ainsi que l’éventuelle ouverture de la forme sur un autre langage musical différent de la tonalité. Le fait même de « mixer » les deux concepts dans une seule unité formelle a produit une certaine interférence et une dépendance mutuelle. Cette dernière est le résultat du mélange homogène des langages musicaux, et aussi du choix de l’instrumentation qui regroupe en même temps la formation classique de l’orchestre à cordes occidental et les trois instruments solistes qui représentent une partie de l’instrumentarium de la musique arabe. L’interdépendance conséquente de ce mélange entre la tonalité et la modalité est tout à fait sujette à plusieurs discussions et jugements, puisque cette action reste toujours relative, vu que la théorie de la musique ne comporte même pas un point de ce travail. Ce champ trouve toute sa présence dans la pratique, qui, seule, se considère comme le domaine incontestablement propre et favorable à l’expérimentation.

D’un point de vue stylistique, on peut dire que l’homogénéité instrumentale est toujours présente, tant par la solide formation de ce petit effectif d’instruments à cordes, que par l’allure même dont la mélodie est partagée entre ces parties. La recherche du timbre ou le rattachement aux leitmotive sont évités, et ceci pour ne pas s’éloigner trop de l’esprit oriental qui est considéré comme la caractéristique principale de toute l’œuvre. Ce concept de coopération entre les instrumentistes marque tout à fait la spécificité même de la musique de chambre, puisque toute forme baroque se considère, de nos jours, comme une présentation minime du grand orchestre moderne. Par conséquence, la spécificité de la forme est totalement respectée, tout en laissant le principe de fusion se déployé.

 

Discussions :

            On a vu qu’il est préférable de diviser cette section destinée aux discussions en deux parties : la première partie se consacre à l’explication du fait proprement musicologique, qui appartient à la recherche scientifique. On y discute la démarche méthodologique suivie au cours du processus théorique. La seconde partie est dédiée essentiellement au travail pratique et expérimental ; et c’est dans laquelle qu’on peut justifier encore nos choix stylistiques et idéologiques dans la composition musicale. On n’oublie toutefois pas que notre mémoire de mastère se considère comme un projet de composition, vu la part importante dédiée exclusivement à l’acte expérimental.

            Tout d’abord, la démarche théorique a suivi de plus près la logique adaptée dans le travail de recherche scientifique en général et musicologique en particulier. Cela est dit, la problématique est élaborée à partir d’une constatation basée, à son tour, sur des phénomènes musicaux. D’autre part, ça serait tout à fait légitime de ne pas donner une hypothèse à la suite de cette problématique ; puisque le sujet se base sur un travail pratique et expérimental (il s’agit bien évidemment de la composition musicale) ; ce qui empêcherait de donner une hypothèse préétablie. Cependant, on a ajusté la démarche même de notre recherche aux conventions déjà cités. L’hypothèse est alors donnée tout en préservant son principe consistant à répondre « de façon temporaire » aux questions posées dans la problématique.

            Encore un autre point reste à discuter en ce qui concerne la partie théorique. Il est remarquable qu’on ait pas mentionné aucune œuvre arabe contemporaine qui applique ou présente le principe de fusion entre la modalité et la tonalité. Ça ne veut pas dire qu’on ne peut pas trouver quelques exemples de ce genre. Toutefois, on peut dire que la même forme (le concerto grosso), la même formation instrumentale, ainsi que le même mode n’ont pas été ainsi groupés dans une même œuvre auparavant. De plus, en ce qui concerne l’histoire de la forme du concerto grosso, on l’a divisée en trois périodes : la période phare, le déclin, et la découverte. Ceci concerne bien le développement de la forme en Europe exclusivement. Ce qui nous a empêchés de mentionner d’autres essais extra-européens dans le même cadre. En ce qui concerne l’histoire du mode et sa définition étymologique et technique, on a choisi quatre civilisations musicales où la notion du mode a été trouvée, à savoir l’Egypte, la Chine, la civilisation hébraïque, et la Grèce. Il est vrai qu’on trouve d’autres constructions d’échelles musicales dans d’autres civilisations, qui s’adaptent à la notion du mode, telles que les modes médiévales (Europe) ou les ragas (Inde). Mais, la seule raison selon laquelle on les a pas mentionnées toutes c’est qu’une éventuelle action dépasserait les limites du sujet de notre recherche. D’autre part, les quatre exemples de civilisations mentionnées sont choisies pour montrer quelques similarités (ou analogies) et certaines différences avec le maqam arabe.

            Dans la partie pratique, et comme on a déjà dit, notre composition consiste à  prévaloir la simplicité mélodique, ainsi que la sobriété harmonique. Autrement dit, on n’a pas chargé la construction polyphonique par des accords complexes qui alourdissent davantage la modalité, ni d’artifices inutiles bien qu’ils sont très utilisés et appréciés ailleurs. Ceci est fait dans le but de maintenir un équilibre relativement stable entre la nature même de la modalité qui n’exige presque pas le moindre renforcement harmonique (par excès, on parlerait de modalité harmonique), et les caractéristiques originelles de la forme du concerto grosso qui est apparue à l’âge baroque. Même s’il s’agit d’un travail de fusion entre la musique arabe et les techniques européennes d’écriture musicale, on ne cherche pas toujours àoccidentaliser cette musique de façon abusive.

            Pour conclure, notre œuvre composée, qui est un concerto grosso pour 2 ouds, qanun, et orchestre à cordes, tient sa création de plusieurs ressources intellectuelles ; en effet, la connaissance musicale et musicologique est absolument nécessaire à développer l’aptitude compositionnelle. D’autre part, l’œuvre composée peut être considérée comme une représentation, ou plutôt une démonstration d’une problématique musicologique dont l’hypothèse ne peut être dévoilée qu’à partir de cette démonstration ; ce qui confirme la conception esthétique purement objective qui construit cette œuvre ; car d’un point de vue musicologique, on ne peut pas la juger comme esthétiquement médiocre ou esthétiquement formidable, parce que le but final que nous cherchons à le toucher est une simple démonstration de notre pensée musicologique envers un phénomène aussi bien théorique que musicologique ; ce qui laisse le statut de cette œuvre à un éventuel dépassement par d’autres essais ou bien à une simple controverse en ce qui concerne la manière dont on a essayé de la montrer. Autrement dit, il faut préciser par ailleurs que le jugement qui pourrait être fait à l’égard de cette œuvre ne devrait pas être subjectif, ou du moins relatif à l’esthétique musicale en général. La seule raison est que cette œuvre est par sa nature même académique, et elle n’est réalisée que pour un but qui s’use essentiellement dans la recherche musicologique. C’est pour cette raison qu’on ne pouvait pas valorise ce travail d’un point de vue esthétique. En face de cette position, on aperçoit que la créativité, même subjective soit-elle, est largement liée à une certaine logique de la démarche compositionnelle.

 

 

 

 

 

Références bibliographiques :

Auda (Antoine), les modes et les tons de la musique et spécialement de la musique médiévale, Hayez, 1930.

Beaudoin (Gilles)Eléments d’analyse et d’écriture musicales, les Presses de l’université Laval, 2002.

Christianowitch (Alexandre)esquisse de la musique arabe aux temps anciens, Cologne, librairie de M. Dumont-Schauberg, 1863.

D’Erlanger (Rodolphe)La musique arabe, 5 tomes, Librairie Orientale Paul Geuthner, Paris, 1949.

Guettat (Mahmoud)La musique arabo-andalouse, l’empreinte du Maghreb, tome I, Editions Fleurs Sociales, 2000.

Hodeir (André)les formes de la musique, Presses Universitaires de France, 1951.

Jargy (Simon)la musique arabe, Presses Universitaires de France, 1977.

Marchand (Alexandre)du principe essentiel de l’harmonie, Imprimerie Nationale, 1872.

Tiron (Alix)Etudes sur la musique grecque, le plain-chant, et la tonalité moderne, Paris, Imprimerie Impériale, 1866.

Villoteau (Guillaume André),  Description de l’Egypte, tome quatorzième, Imprimerie de C. F. Panckoucke, Paris, 1826.

Villoteau (Guillaume André), Musique de l’antique Egypte, La Librairie Belge, Bruxelles, 1830.

 

 

 

 

 

 

 

 


[1] Brenet (Michel), Dictionnaire pratique et historique de la musique, Librairie Arman Collin, 1926, p.262.

[2] Maillart (Pierre), Les tons, ou les discours sur les modes des musiques et les tons de l’église et la distinction entre eux, Tournay, 1610.

[3] Gastoué (Amédée), Revue du chant grégorien, Janvier 1902, 88, note 1.

[4] Danhauser (Adolph-Léopold), Théorie de la musique, Editions Henry Lemoine, 1929, p.43.

[5] Auda (Antoine), les modes et les tons de la musique et spécialement de la musique médiévale, Georg Olms Verlag, 1930 , p.20.

[6] http://www.larousse.fr/dictionnaires/francais/interaction/43595

[7] En dépit que ce terme fait référence directement à une propriété en mathématiques, on l’a utilisé dans ce contexte pour valoriser le fait que la modalité et la tonalité pourraient s’échanger l’emplacement dans une certaine œuvre musicale.

[8] D’indy (Vincent), Cours de composition musicale, 2ème livre, 2de partie,  Durand et Cie éditeurs, Paris, 1948; p.84.

[9] D’indy (Vincent), Cours de composition musicale, 1er livre, Durand et Cie éditeurs, Paris, 1912 ; p.108.

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